Les Kpoux Vermicieux
« Oh, grands Dieux ! haletait Mr. Wonka, ô grands pantalons suprêmes ! ô, suprême de volailles ! ô, mes oies caquetantes ! »
Il flotta jusqu’au bouton blanc et appuya dessus. Les fusées s’allumèrent. L’Ascenseur fila si vite que le Space Hotel disparut en un rien de temps.
« Quelle horreur ! Qu’est-ce que c’était ? demanda Charlie.
— Comment ! Tu ne le savais pas ? s’écria Mr. Wonka. Eh bien, tant mieux pour toi ! Si tu avais eu la moindre idée de ce qui t’attendait, tu en aurais perdu la moelle ! Tu aurais été pétrifié de terreur, cloué au sol. Alors, ils t’auraient capturé ! Ils t’auraient cuit comme un concombre, râpé en mille petits morceaux, passé à la moulinette comme du gruyère, transformé en flocons ! Avec tes articulations, ils auraient fait des colliers et avec tes dents des bracelets ! Parce que ces êtres, cher petit ignorant, sont les bêtes les plus méchantes, les plus vindicatives, les plus venimeuses, les plus meurtrières de tout l’univers. »
Ici, Mr. Wonka s’arrêta et passa le bout de sa langue sur ses lèvres.
« LES KPOUX VERMICIEUX ! cria-t-il. Ce sont les KPOUX VERMICIEUX ! » Il insistait bien sur le K… Les KPOUX !
« Je croyais que c’étaient des grobes, dit Charlie, ces grobes suintantes et suantes dont vous avez parlé au Président.
— Oh, non, c’étaient des histoires pour effrayer la Maison Blanche, répliqua Mr. Wonka. Mais crois-moi, les Kpoux Vermicieux ne sont pas des inventions. Ils vivent, comme chacun sait, sur la planète Vermiss qui se trouve à dix-huit mille quatre cent vingt-sept millions de miles et ce sont de méchantes bêtes très très très malignes. Le Kpou Vermicieux peut prendre la forme qu’il veut. Il n’a pas d’os. Son corps n’est en fait qu’un énorme muscle, extraordinairement fort mais très élastique, très mou, comme un mélange de caoutchouc et de mastic, avec des fils d’acier à l’intérieur. Normalement, il a la forme d’un œuf mais il peut tout aussi bien se donner deux jambes, comme un humain, ou quatre pattes comme un cheval. Il peut devenir rond comme un ballon ou long comme la ficelle d’un cerf-volant.
Un Kpou Vermicieux qui a complètement terminé sa croissance peut venir te mordre la tête à cinquante yards rien qu’en tendant le cou !
— Avec quoi mordrait-il ? demanda grand-maman Georgina. Je ne lui ai pas vu de bouche.
— Ils ont autre chose pour mordre, répondit seulement Mr. Wonka.
— Par exemple ?
— Raccrochez, vos trois minutes sont écoulées, dit Mr. Wonka. Je viens de penser à une chose amusante. J’ai fait une blague au Président en prétendant que nous étions des extra-terrestres et… par Jupiter ! voilà qu’il y a vraiment des extra-terrestres à bord !
— Pensez-vous qu’ils sont nombreux ? interrogea Charlie. Plus que les cinq que nous avons vus ?
— Ils sont des milliers ! Il y a cinq cents chambres dans le Space Hotel, et il y a probablement une famille dans chacune !
— Ça va être un sacré choc quand ils monteront à bord, dit grand-papa Joe.
— Ils se feront croquer comme des cacahuètes, dit Mr. Wonka. Du premier au dernier.
— Vous parlez sérieusement ? demanda Charlie.
— Bien sûr que je parle sérieusement, répliqua Mr. Wonka. Ces Kpoux Vermicieux sont la terreur de l’univers. Ils voyagent dans l’espace en grands bataillons, atterrissent sur d’autres étoiles, d’autres planètes et détruisent tout ce qu’ils trouvent. De gentilles créatures, les Nouzas, vivaient jadis sur la Lune. Eh bien, les Kpoux Vermicieux les ont toutes dévorées. Ils ont fait de même sur Vénus, sur Mars et sur les autres planètes.
— Pourquoi ne sont-ils pas venus sur Terre pour nous manger ? demanda Charlie.
— Ils ont essayé, Charlie, mais ils n’y sont jamais parvenus. Vois-tu, il y a une épaisse enveloppe d’air et de gaz autour de la Terre et tout ce qui la heurterait à grande vitesse serait porté au rouge. Les capsules spatiales sont faites d’un métal qui résiste à la chaleur. D’ailleurs, quand elles font leur entrée dans l’atmosphère terrestre, le « frottement » et les rétrofusées réduisent la vitesse à environ deux miles à l’heure. Mais elles se font quand même sérieusement roussir. Les Kpoux, qui ne résistent pas du tout à la chaleur et n’ont pas de rétrofusées, se font complètement frire avant d’avoir effectué la moitié du trajet. As-tu déjà vu une étoile filante ?
— Des tas, répondit Charlie.
— En réalité, ce ne sont absolument pas des étoiles filantes, ce sont des Kpoux Filants, des Kpoux qui ont essayé d’entrer dans l’atmosphère terrestre à toute vitesse et qui se sont enflammés.
— Sornettes ! lança grand-maman Georgina.
— Attendez, dit Mr. Wonka. Vous verrez peut-être la chose se produire avant la fin du jour.
— Mais s’ils sont si féroces et si dangereux, dit Charlie, pourquoi ne nous ont-ils pas aussitôt mangés, dans le Space Hôtel ? Pourquoi ont-ils perdu du temps à se tortiller pour former les lettres du mot « OUSTE » ?
— Parce que ce sont des cabots, répliqua Mr. Wonka. Ils sont épouvantablement fiers de savoir écrire comme ça.
— Pourquoi nous dire Ouste, alors qu’ils voulaient nous attraper et nous manger ?
— C’est le seul mot qu’ils connaissent, dit Mr. Wonka.
— Regardez ! brailla grand-maman Joséphine en montrant quelque chose du doigt à travers le verre. Là-bas ! »
Avant même de regarder, Charlie savait exactement ce qu’il allait voir. Les autres aussi. Le ton hystérique de la vieille dame le laissait présager.
Et en effet, volait, tranquillement à côté d’eux, à moins de douze yards, un Kpou Vermicieux tout bonnement colossal, ovoïde, gluant et brun verdâtre. Il était gros comme une baleine, long comme un camion et avec un de ces méchants regards vermicieux dans l’œil ! Cet œil rouge et malveillant (le seul visible) fixait intensément les passagers flottant dans le Grand Ascenseur de Verre !
« C’est la fin ! hurla grand-maman Georgina.
— Il va nous manger ! cria Mrs. Bucket.
— D’une seule bouchée ! ajouta Mr. Bucket.
— Nous sommes cuits, Charlie », dit grand-papa Joe.
Charlie fit oui de la tête. Il ne pouvait ni parler ni crier.
La peur lui nouait la gorge.
Cette fois-ci, Mr. Wonka ne s’affola pas et garda son calme.
« Nous allons nous débarrasser de ça ! » dit-il.
Et il appuya sur six boutons à la fois. Six fusées partirent en même temps sous l’Ascenseur qui bondit en avant comme un cheval piqué par une guêpe, de plus en plus vite, mais le grand Kpou vert et gluant continuait à les suivre tranquillement.
« Faites-le déguerpir ! vociféra grand-maman Georgina. Je ne supporte pas son regard !
— Chère madame, dit Mr. Wonka, il ne peut pas entrer ici. Je veux bien reconnaître que j’ai été un tantinet inquiet dans le Space Hôtel, et avec quelque raison. Mais ici, nous n’avons plus rien à craindre. Le Grand Ascenseur résiste aux chocs, à l’eau, aux bombes, aux balles et aux Kpoux ! Alors, détendez-vous et amusez-vous bien ! »
« Oh, Kpou ! Toi qui es vil et vermicieux ! s’écria Mr. Wonka.
Tu es gluant, mou et pâteux
Mais qui de nous s’en soucie ?
Car nous sommes à l’abri
N’insiste plus et adieu ! »
A ce moment-là, l’énorme Kpou fit demi-tour et s’éloigna.
« Enfin ! s’exclama Mr. Wonka triomphalement. Il m’a entendu ! Il revient chez lui ! »
Il se trompait. Lorsque la créature se fut éloignée, elle s’arrêta, plana un moment puis revint doucement vers l’Ascenseur avec son bout arrière (le bout allongé de l’œuf) en avant. Même à reculons, sa vitesse était foudroyante. On aurait dit une balle monstrueuse qui fonçait si vite sur eux que personne n’eut le temps de crier.
CRAC ! Elle heurta l’Ascenseur de Verre avec un fracas épouvantable. Toute la cage trembla, s’ébranla, mais le verre résista et le Kpou rebondit comme une balle en caoutchouc.
« Qu’est-ce que je vous avais dit ! hurla Mr. Wonka victorieusement. Ici, nous sommes à l’abri comme des abricots !
— Il va avoir un sacré mal de crâne, après ça ! dit grand-papa Joe.
— Ce n’est pas sa tête, c’est son derrière, dit Charlie. Regarde, grand-papa. Il y a une bosse qui surgit sur son bout allongé ! Elle est rouge et bleue ! »
En effet. Une bosse pourpre, de la taille d’une petite voiture, se formait sur le bout allongé du Kpou géant.
« Salut, grande sale bête ! cria Mr. Wonka.
Salut à toi, grand Kpou ! Comment ça va ?
Tu m’as l’air étrange.
Ton derrière est pourpre et orange.
C’est bien normal, tout ça
Tu ne te sens pas bien ? Tu vas défaillir ?
Est-ce un secret honteux ?
Il a des raisons de gémir,
Ton arrière-train monstrueux !
Je connais un médecin
Pour un Kpou mal en point !
Il s’agit d’un boucher,
Ses tarifs sont légers !
Ah, le voilà ! Docteur, c’est gentil
D’être enfin venu.
Voici le Kpou au postérieur meurtri,
Tout espoir est-il perdu ?
« Ah, quel problème, il est blême ! »
Fait le docteur avec un sourire sardonique.
« Le bout de sa queue est orné d’un œdème,
Avec une épingle, il faut que je le pique ! »
Il sort un javelot indien
Tout emplumé par-dessus
Il en pique le Kpou dans sa partie charnue
Hélas, le ballon n’éclate point !
Le Kpou gémit : « Quel désespoir !
J’ai mal ! Je suis défiguré !
Voilà mes vacances gâchées
Et je ne peux plus m’asseoir ! »
« Votre cas est désespéré,
Conclut l’apothicaire.
Pour vous asseoir, faites le poirier
Avec le derrière en l’air ! » »